_« Une seule ? »
Sans lever les yeux en direction de la voix, l’homme aux vêtements sombres opina du chef.
_« Menez-la auprès des Sœurs de la Tour Blanche. » souffla la voix.
Avec un bref hochement de tête, l’homme se coula dans l’ombre et, de son pas souple et feutré, il emporta la fillette. Elle avait tout juste trois ans et ne pesait guère plus qu’un ballot de paille dans ses bras, pourtant, à son contact il se sentait aussi faible qu’un nouveau-né. Il frissonna en se remémorant leur rencontre. Il l’avait sentie bien avant d’entrer dans la vaste grange où l’on réunissait les enfants à chaque nouvelle Révélation. Sa peau s’était mise à le démanger avec tant de force qu’il avait cru d’abord qu’ils seraient nombreux cette année-là, à posséder le don. C’est le cœur plein d’espoir qu’il avait poussé le battant de la lourde porte mais à peine en avait-il franchi le seuil que son regard avait été happé par l’enfant. Petite blonde fluette aux joues sales et aux genoux écorchés, elle le fixait de ses grands yeux bleus écarquillés. Deux iris d’azur dont la pureté n’était troublée que par l’agitation des ombres bleu nuit qui les traversaient. Le cœur de l’homme s’était mis à battre plus fort. Jamais encore il n’avait été en présence d’une si grande force. Il avait presque l’impression que sa peau allait se détacher de ses os...
Avec un pincement au cœur, il porta son regard sur la petite blottie dans ses bras. Elle se tenait droite. Fière et coite, elle se laissa entraîner vers son destin sans mot dire. C’était habituel. Les enfants savaient. Ils étaient préparés à cela dès leur naissance tout comme leurs mères éplorées... Il avait vu cela, tant de fois déjà.
Lorsque l’homme eut disparu, les Gardiens du Verbe échangèrent un regard entendu. Eloranne prit la parole.
_« Il y en a de moins en moins.» fit-elle remarquer.
_« Mais il en reste encore.» la contra Maéis d’un ton où perçait son agacement. Eloranne allait répliquer lorsqu’ Adar Eon intervint :
_« Cessez immédiatement. »
Le ton du doyen était comme toujours égal et mesuré, cependant la fermeté qui sous-tendait ses propos était sans équivoque.
_« Inutile d’ergoter. A l’évidence le don se tarit, mais qu’y pouvons-nous ? » conclut-il.
A ces mots, Eloranne répliqua doucement :
_« Agir. Voilà non pas seulement ce que nous pouvons, mais ce que nous devons faire. »
A vingt ans, elle était la cadette des Gardiens du Verbe. Eu égard à son jeune âge, Arad Agard, le gardien le plus ancien après Adar Eon, lui adressa un sourire empli de condescendance.
_« Et que proposez-vous Gardienne Eloranne? » demanda-t-il.
Surprise par la question, la jeune femme se fit hésitante.
_« Je ne prétends pas détenir la solution. » commença-t-elle. « Je dis simplement qu’il est de notre devoir de tenter de remédier à cette situation. »
_ « Vaines et inutiles paroles que celles qui ne mènent à rien. » susurra Maéis d’un ton mielleux. « Le Verbe, tu n’évoqueras en vain... » rappela-t-elle.
_« Il suffit ! » tonna la voix d’Asgar Agard. Dans la salle voûtée au haut plafond, la température monta de quelques degrés. Comme les autres, Eloranne se recroquevilla instinctivement. Asgar Agard se leva, dominant l’assistance de toute sa hauteur. Son autorité naturelle ne venait pas de son âge, mais de son don. De tous les Gardiens, il était sans conteste celui dont le feu intérieur était le plus puissant.
_« Cessez séance tenante ces inutiles palabres. Notre devoir est de veiller le Verbe jusqu’à la fin des temps, que le don se tarisse où qu’il fleurisse. »
Tournant les talons, il quitta le balcon sans plus de cérémonie. Sa sortie agit comme un signal : les uns après les autres, les Gardiens l’imitèrent. La tête basse mais les poings serrés, Eloranne s’éclipsa sous le regard triomphant de Maéis.
Post de février 2014 : Eloranne
Assise devant sa console, Eloranne se brossait les cheveux. Ce simple geste mécanique et récurent avait le don de la calmer. Ses longs cheveux lisses et brillants se prêtaient volontiers à la caresse de la brosse de crins. Une fois tous nœuds éradiqués, Eloranne entreprit de lacer savamment les longues mèches déliées avant de les remonter en un chignon complexe qui venait souligner la courbe gracile de son cou. Concentrée sur le reflet du miroir, elle ajouta une dernière touche en plaçant adroitement quelques cheveux en accroche-cœur sur son front. Satisfaite, elle admira le résultat non sans noter au passage les premières rides qui se formaient au coin de ses grands yeux verts... il aurait suffi d’un mot pour les faire disparaître... c’était si tentant... mordillant sa belle lèvre inférieure naturellement rouge, pleine et sensuelle, elle détourna son regard de ses ridules pour se concentrer sur le fin duvet blond qui donnait à ses joues leur teint de pêche, la ligne parfaite de son petit nez fin, l’ovale régulier de son visage, son front légèrement bombé, ses beaux yeux verts pétillants... Son regard descendit lentement, s’attardant sur son tour de taille et ses formes généreuses... elle se sourit, réconfortée. Maéis pouvait dire ce qu’elle voulait, Eloranne savait que ses remarques perfides n’étaient guidées que par la jalousie.
Un léger souffle d’air dans son dos la fit frissonner. Sa porte comme sa fenêtre étaient fermées. Le sourire d’Eloranne s’élargit. Seul un homme savait se faufiler ainsi sans un bruit. Fermant les yeux elle attendit.
Deux bras se refermèrent sur elle. Elle savoura la fermeté de son étreinte comme l’odeur de sous-bois qui se dégageait de ses vêtements de cuir.
« Azrar... » murmura-t-elle en ouvrant les yeux.
Le reflet du miroir lui renvoya le sourire éclatant de l’homme à la peau sombre. Dans son visage couleur d’ébène, ses yeux bleus la fixaient, rieurs. Il avait ôté son chapeau aux larges bords, révélant ainsi les traits burinés de son visage. Il n’avait qu’un an de plus qu’elle mais semblait bien plus âgé. Continuellement confrontée au grand air, sa peau avait cette patine unique que confère une longue exposition aux éléments extérieurs. Cela, ajouté à ses vêtements de baroudeur, lui donnait un faux air de maturité et d’expérience que sa peau noire et mate ne faisait que renforcer.
Les yeux fixés dans ceux du reflet de son amant, elle caressa du bout du doigt le brun poignet qui l’enserrait amoureusement. Sous le tracé délicat de son ongle, l’épiderme de l’homme se mit à blanchir et bientôt un complexe entrelacs de lignes claires vint marbrer la peau sombre de l’homme.
Tout comme sa peau, le regard d’Azrar avait changé : dans ses prunelles d’encre, la malice avait cédé place au désir.
La respiration d’Eloranne s’accéléra. C’est ce même regard qui l’avait fait succomber au charme d’Azrar. Plus que le fruit défendu qu’il représentait, c’était ce petit air d’arrogance sauvage qui l’avait séduite. Cette puissance animale que l’on sentait pulser sous ses airs policés et mesurés... Une puissance presque palpable qu’elle rêvait de laisser se déchaîner... Une liberté qu’elle voulait partager...
_« Tu ne devrais pas être là, c’est bien trop dangereux. S’ils nous surprennent tu seras banni... » gémit-elle.
Comme si cette perspective ne faisait qu’exacerber son désir, il lui adressa un sourire de prédateur et, enfouissant sa tête au creux de son épaule il embrassa goulûment sa peau douce. Les mains d’Azrar couraient sur le corps de la jeune femme. Avides et pressantes. Emportée, elle soupira doucement tandis qu’il murmurait au creux de son oreille : « Je suis bien trop précieux pour être exilé. »
Frissonnant de plaisir, Eloranne ferma les yeux. Il avait raison. Tant qu’il n’y aurait pas d’autre Révélateur, ils n’oseraient rien contre lui. Chassant résolument sa peur, elle s’agrippa à lui comme s’il représentait son unique chance de salut.
« Pas autant que moi... » lui répondit-elle d’une voix rendue rauque par le désir avant de s’abandonner à ses mains expertes.
Post de mars 2014 : L’enseignement des Parolières
Dans la tour blanche, l’enseignement mis au point par les premiers Gardiens de l'Ordre se poursuivait, immuable.
Les lèvres de la Sœur s’arrondirent dans un ovale parfait. Souples et légères comme les ailes d’un oiseau préparant son envol.
_« O » énonça la Parolière, ses lèvres frémissant délicatement sous le souffle exhalé. Le son pur et parfait s’épanouit dans les airs avec une intensité presque insoutenable. Explosant dans le silence comme un petit soleil.
Un frisson extatique traversa l’enfant, mais le regard froid qui se posa sur elle la ramena rapidement à la réalité. A toi, disaient les yeux durs. La peur au ventre, la petite se concentra et tenta docilement de reproduire le son.
_« Ô », souffla-t-elle.
La baguette siffla brièvement dans les airs avant de s’abattre brutalement, mordante, sur la chair tendre des petits doigts.
« Non, pas Ô mais O ! » gronda sœur Crinelle, agacée.
Enéria retint le cri qui lui montait aux lèvres. Elle savait que toute faiblesse de sa part lui vaudrait d’être sévèrement réprimandée. Surveillant la tige verte du coin de l’œil, elle reprit: « O ».
Sœur Crinelle hocha de la tête mais ses paroles restèrent aussi dures qu’exigeantes : « Plus fermes, les lèvres. Et la langue, plus souple. Laisse l’air vibrer et porter le son. Recommence ! »
Ordres ou remontrances, c’est tout ce que la sœur avait à la bouche, songea tristement Enéria. Sous l’œil sévère de son professeur, elle s’exécuta en s’appliquant : « O ».
Cette fois-ci le son s’envola, léger et aérien. L’espace d’un instant, Enéria le vit scintiller dans les airs puis percuter un mur avant de rebondir pour s’élever à nouveau et se perdre dans la hauteur des plafonds. La vieille femme sèche à la tenue grise aussi stricte que son chignon, afficha un air presque satisfait. Soulagée, Enéria, expira doucement l’air qu’elle retenait encore dans ses poumons. Elle n’eut pas le temps de profiter de l’instant : déjà la sœur reprenait : « Recommence ! »
Depuis son banc, Sœur Anistre assistait, impuissante, à la leçon. A chaque coup qui s’abattait sur l’enfant, son cœur se serrait. Elle l’avait tout de suite aimée, cette petite aux cheveux blonds comme les blés et aux joues si roses. Comme le temps filait vite, songea-t-elle. Elle avait peine à croire que trois années s’étaient écoulées depuis l’arrivée d’Enéria dans la tour. La petite avait eu six ans la veille et malgré les remarques acerbes de sœur Crinelle à son égard, Anistre savait que l’enfant était prometteuse. Enéria était un cadeau du ciel, elle le savait. Personne n’osait en parler mais tous s’inquiétaient. Ils se faisaient si rares ces dernières années, les jeunes dotés du Don. La tour blanche ne comptait que quatre fillettes toutes arrivées avant Enéria, et seuls deux garçons suivaient le même enseignement, dispensé par les paroliers de la tour noire. Depuis trois ans, aucun enfant n’était venu grossir leurs rangs...
_« Sœur Anistre ! »
Bondissant, la vielle femme se redressa immédiatement d’un air coupable. Faire crier sœur Crinelle n’augurait jamais rien de bon.
_« Oui ma sœur ? » s’enquit-elle d’une voix dont elle ne put totalement réprimer le tremblement.
« Faites-la manger. Ramenez- la ensuite pour les entraînements d’endurance et de contrôle. »
La sœur s’exécuta aussitôt, entraînant la petite dans son sillon.
Post avril 2014 :
A six ans, Enéria était une enfant menue, au teint pâle et à la démarche nerveuse. Vêtue de la même robe de laine grise que les Sœurs de la Tour Blanche, elle portait ses longs cheveux blonds noués en une unique et épaisse tresse et, hormis le ruban de velours noir qui venait en nouer l’extrémité, aucun ornement ne venait égayer la sobriété de sa tenue. L’austérité de sa mise était à la hauteur de celle de sa cellule : les murs de pierres comme le sol étaient nus. Elle ne disposait, pour tout mobilier, que d’un lit de facture grossière, d’un pupitre vide et d’une grande malle qui renfermait ses maigres possessions : quelques sous-vêtements défraîchis, une paire de sandales au cuir craquelé, un gilet élimé aux coudes et trois robes en tous points identiques à celle qu’elle portait. Bien que dépourvue de fenêtre, sa chambre n’en était pas moins lumineuse grâce aux deux rangées de meurtrières placées en hauteur sur toute la longueur des murs.
Lorsque les sœurs ne lui enseignaient pas le Verbe, c’est dans cette petite pièce ronde qu’elle restait cloîtrée, des heures durant, à coudre des torchons ou repriser des bas de laine. Elle ne sortait que deux matinées par semaine, toujours sous bonne escorte, pour faire des exercices dans la cour. Triangulaire et fort large elle était bordée de murs qui montaient presque aussi haut que les trois imposantes tours qu’ils reliaient. Chaque construction arborait une couleur propre qui lui venait des pierres dont elle était constituée : la blanche abritait les Sœurs Parolières, la grise, les Frères Paroliers et la noire, les Gardiens du Verbe. Combien de fois n’avait-elle pas levé les yeux vers cette tour mystérieuse, espérant apercevoir l’un d’entre eux. Combien étaient-ils ? Que faisaient-ils ? Autant de questions qui restaient sans réponse.
Attablée devant son plateau, Enéria mangeait sa soupe avec ce qui semblait être de l’application mais en réalité, tandis qu’elle trempait son pain dans l’épais bouillon, son esprit vagabondait. Elle se demandait combien d’autres, comme elle, mangeaient au même instant le même potage. Combien d’autres, comme elle, enduraient chaque jour les mêmes entraînements. Elle ne savait rien ni de leur nombre ni de la raison pour laquelle il lui était interdit de les rencontrer, mais il lui arrivait parfois de surprendre dans la nuit en écho à ses propres pleurs un cri ou un râle étouffé. Son esprit dériva vers sœur Crinelle et, à cette pensée, son estomac se crispa. Sa cuillère s’arrêta, suspendue à quelques millimètres à peine de sa bouche. Enéria n’eut nul besoin de regarder Sœur Anistre pour percevoir la tension qui la gagnait. Tout était inscrit dans l’air entre elles. Parfois lourd et long ou au contraire bref et furtif. Parfois inquiet, gêné ou curieux, parfois concentré, résigné ou avide, souvent effrayant mais aussi par moment réconfortant ou apaisant. Doux et tendre ou au contraire électrique voire même assourdissant, le silence est multiple pour celui qui sait écouter. En l’espace d’un instant, l’écheveau du silence qui liait les deux femmes s’était épaissit, chargé d’émotions retenues et contradictoires. Peur, devoir, compassion et résignation saturait l’espace entre elles.
Inspirant doucement, Enéria se força à déglutir. Sauçant son écuelle, elle avala le dernier morceau de pain avant de se lever. Avec un regard résigné, la sœur se leva à son tour. Prise d’une impulsion subite, elle posa une main douce sur l’épaule de la jeune fille et la serra furtivement comme pour lui donner courage. Le seul geste qu’elle pouvait se permettre. Pour cacher son émotion Enéria détourna le regard. Elle savait l’affection que lui portait secrètement la sœur, comme elle connaissait la sanction qu’elles encourraient toutes deux si cela venait à se savoir. Verbe et Sentiments font mauvais ménage, n’était ce pas l’une des premières règles de l’Ordre ?
Empruntant le long et sinueux escalier de pierre, les deux femmes se dirigèrent d’un pas résigné vers l’étage où les attendait sœur Crinelle.
POST Mai 2014:
Enéria attendait sous le regard impassible de la Sœur. Il n’y avait pas la moindre trace de compassion dans les yeux bleus délavés qui la fixaient, pas de haine non plus au demeurant. Et c’est précisément cela qui la rendait si effrayante : ce manque d’émotion, ce manque d’humanité.
Voilà ce que je dois devenir, songea Enéria avec un frisson intérieur.
« Bien qu’encore perfectible, ton élocution est désormais satisfaisante pour que nous entamions la seconde phase de ton apprentissage. C’est la plus longue et la plus difficile. Tu vas devoir apprendre à contrôler tes émotions, car le ton avec lequel tu prononces les mots importe autant que leur sens. Si tu y parviens, je t’enseignerai la lecture et le juste choix des mots. Nous n’avons plus que dix ans devant nous pour te préparer à ton passage. Cela te semble sans doute long aujourd’hui mais tu réaliseras sous peu qu’il n’en est rien. »
« Après une pause, elle reprit. L’exercice de ce jour porte sur la dissociation entre perception et expression. Assieds-toi sur cette chaise. »
Enéria regarda en tremblant la chaise de bois rivée au sol par d’épaisses vis. Des lanières de cuir étaient fixées au niveau des pieds et des accoudoirs comme sur l’extension clouée au dossier. Son coeur battait la chamade et tout son être se révulsait à l’idée de s’asseoir sur cet engin de torture. Du regard, elle supplia la Sœur.
Celle-ci se contenta de secouer la tête. « Le don contrôlé est une bénédiction jeune fille, dans le cas contraire, c’est une malédiction. Si tu échoues, tu deviens une menace pour l’Ordre. Comprends-tu ce que cela signifie? »
Malgré la peur qui lui nouait l’estomac Enéria acquiesça. Sœur Crinelle avait raison. Elle n’avait d’autre choix que d’obéir. Luttant contre sa peur, elle s’avança d’un pas chancelant et prit place sur le siège.
Elle déglutit, tremblante et inquiète, tandis que l’on nouait les lanières autour de ses mollets, de ses avant-bras et de sa gorge. Les battements sourds de son cœur résonnaient dans ses tympans, emplissant tout l’espace et sa respiration se fit sifflante. Plus elle respirait et moins elle parvenait à s’oxygéner.
Crinelle se tourna vers sœur Anistre : « Vous savez ce que vous avez à faire, il me semble. »
Le visage livide, la sœu r esquissa un regard impuissant vers la jeune fille avant de disparaître.
Sœur Crinelle revint auprès d’Enéria. « Nous commencerons par la douleur. Lorsque tu seras capable de la gérer nous passerons à la peur, à la surprise, à la colère, au désir, au plaisir, à la joie, puis à l’amour, et enfin nous terminerons par la compassion. »
Enéria ferma les yeux.
« Silence » souffla la femme, et dans sa bouche, asséchée par la peur, Enéria sentit sa langue se figer.
Dans le couloir, sœur Anistre pressait le pas. Parvenue en haut de l’escalier, elle le dévala aussi vite que le lui permettaient ses vieilles jambes tandis que sur ses joues, les larmes ruisselaient, silencieuses. Elle s’en moquait. Tout ce qu’elle voulait, c’était mettre la plus grande distance possible entre elle et cette pièce sordide. Elle se souvint de l’époque où elle était arrivée. Lorsqu’on lui avait annoncé que son don était trop faible pour qu’elle puisse un jour prétendre à devenir Gardienne. Elle avait été mortifiée. Ils l’avaient cependant gardée. Non pas en tant que Parolière, comme sœur Crinelle. Même pour cela son don était trop insuffisant. Non, ils l’avaient assignée au rôle de chaperon. Depuis ce jour, elle en avait vu défiler des enfants. Elle avait pansé bien des plaies et séché bien des larmes... et durant toutes ces maudites années, passées à côtoyer la souffrance et la peine, elle n’avait cessé de remercier le ciel de ne pas lui avoir accordé plus de don.